Journal (non confiné) de la pandémie • vol II / 7-25 avril 2020

Deuxième compilation de mes posts journaliers sur Facebook, une façon de commenter de manière personnelle l’actualité de cette période inouïe à partir de mes archives photographiques et sur un ton parfois sérieux, parfois plus ironique ou amusé. J’ai expliqué de manière développée le principe de ce projet Facebook, transcris désormais sur mon blog,  dans le volume I de ce journal

Comme cela arrive toujours sur les réseaux sociaux, et sans que l’on en sache toujours la raison, certains posts ont fait plutôt “flop“, alors que d’autres ont eu du succès bien au-delà du ratio habituel et ont même pu générer moult commentaires, comme celui consacré au jargon de l’Art contemporain (23 avril). Ces commentaires ne sont pas repris dans le blog, mais il est toujours possible de les consulter sur Facebook.

7 avril

#16 • Shinzo Abe, le premier ministre nippon se fait un peu tordre le bras pour prendre des mesures plus coercitives, mais Tokyo et plusieurs autres grandes villes du Japon pourraient sans doute connaître bientôt un état de confinement proche de ce que nous vivons. 

Un printemps au Japon sans hanami, sans pouvoir regarder les fleurs, sans promenade, sieste et pique-niques dans les parcs et les jardins est-il pensable ?

Jardins du Palais impérial, Tokyo, 21 mars 2005 © Thierry Girard

10 avril

#17 • Post dédié, en ce Vendredi saint, à tous les photographes et tous les gens d’images pour lesquel(le)s la période actuelle est un chemin de croix, sachant que les mesures d’aide qui leur sont proposées sont dérisoires et mal adaptées, et qu’ils ne benéficient pas du statut de l’intermittence. Des jours sombres devant beaucoup d’entre nous.

Véronique tendant son voile au Christ pendant la montée au calvaire. Chemin de croix de Giandomenico Tiepolo, église de San Polo, Venise, 18 juin 2016 © Thierry Girard

11 avril

#18 • Comme à son habitude, sans consulter qui que ce soit (et surtout pas les autorités locales) et au dernier moment (la veille au soir pour le lendemain), Erdogan et le gouvernement turc ont décidé d’imposer un confinement total dans les grandes villes pendant toute la durée du week-end. Du coup, précipitations et bousculades dans les commerces le soir, entre la fin du travail et le retour chez soi, juste ce qu’il fallait éviter. 

J’aurais pu choisir une photo des manifestations silencieuses place Taksim qui se sont déroulées pendant plusieurs mois (j’y étais en 2013), j’ai préféré une image simple de corps qui se touchent dans le métro bondé du soir.

Dans le métro (en revenant de la place Taksim), Istanbul, 22 juin 2013 © Thierry Girard

12 avril

#19 • Il y a quinze ans jour pour jour, le 12 avril 2005, je me trouvais en Chine, dans la petite ville de Guanghan dans le Sichuan. Dans cette partie de la Chine qui n’avait pas encore été vraiment touchée par l’extraordinaire développement économique déjà à l’œuvre dans les très grandes villes, ce sont les jeunes femmes qui, dans leur façon de s’habiller et dans leurs attitudes, incarnaient déjà la modernité.

Guanghan, Sichuan, 12 avril 2005 © Thierry Girard
[ Lien vers le site web : Voyage au pays du Réel ]

13 avril

#20 • Le Lundi de Pâques, d’habitude c’est jour de Carnaval à Cassel dans les Flandres françaises. Le vent souffle toujours sur le mont Cassel et il y fait souvent froid, même à Pâques. J’y suis allé deux ou trois fois au début des années 80, j’y suis retourné en 2017 à l’aube de mon nouveau projet sur le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Trente ans et plus ont passé, les estaminets sont moins nombreux et le plus authentique d’entre eux n’accepte plus de clientèle à l’intérieur : on boit la bière et on mange les frites et les gaufres dehors, tout fout le camp ! Mais il reste les géants Reuze papa et Reuze maman et les habituelles “attractions“ nées en 1902 lorsque ce carnaval de printemps a été inventé. Tel le Four merveilleux qui fait le tour du village en repérant les jolies femmes que trois mitrons vont glisser dans leur fournil pour les “recuire“. Si le diable, qui sort de temps à autre de la cheminée, se met de la partie, elles ressortent en vieilles femmes boiteuses et bossues…

Le Four merveilleux, carnaval de Cassel, Nord, 17 avril 2017 © Thierry Girard


14 avril

21 # • Tête de confiné apprenant qu’il en reprend pour un mois et que, compte tenu de son âge, il ne sera peut-être pas relâché tout de suite dans la nature !

Conche des baleines, île de Ré, 17 décembre 2015 © Thierry Girard

15 avril

# 22 • Après les dernières annonces gouvernementales, annulations en cascades des festivals qui devaient réjouir notre printemps et notre été. Je pense aux artistes impactés, et surtout aux plus modestes, aux petites compagnies de théâtre qui jouent parfois leur survie dans le succès d’une présentation à Avignon ; aux jeunes artistes de la scène musicale qui attendent de Bourges, de La Rochelle, de Belfort ou d’ailleurs, ce petit plus de notoriété qui change la donne ; aux photographes et aux artistes de tous poils pour lesquels la présence dans un festival peut être un saut d’obstacle décisif dans un parcours que l’on sait difficile ; et je pense à tous ceux sans lesquels les festivals n’existeraient pas, ceux qui les pensent, les organisent, ceux qui montent les scènes, les décors ou les expositions, ceux qui s’occupent du son ou de l’éclairage, et toutes les petites mains, bénévoles ou non, qui vont se retrouver au chômage dans un été sans âme.

Concert de Chris, Eurockéennes de Belfort, 7 juillet 2019 © Thierry Girard

16 avril

# 23 • Une tribune parue dans Le Monde sous le titre, « Privés de jobs, cloîtrés, les étudiants les plus démunis sont tenaillés par la faim et l’angoisse », dénonce l’abandon de nombre d’étudiants, dont beaucoup d’étrangers, par les autorités, le Crous, les universités etc.. Ces étudiants, souvent déjà en situation de précarité, pour lesquels le confinement est tout sauf un joli mois de vacances.

Dans les universités chinoises, les chambrées comportent deux, voire quatre lits. Un peu comme dans une prison. Comment ont vécu les étudiants chinois pendant leur propre confinement sachant que à Wuhan pour exemple, les mesures étaient encore beaucoup plus drastiques et coercitives qu’ici ?

Chambre d’étudiantes, Shanghai Normal University, 12 novembre 2010 © Thierry Girard

17 avril

# 24 • Le confinement… presque un bonheur pour les 15 prêtres et moniales qui restent sur le mont Saint-Michel, débarrassés des hordes touristiques et des marchands du temple. On peut faire sonner les cloches aussi longtemps qu’on veut…

La baie du mont Saint-Michel depuis le bec d’Andaine, 20 novembre 2004 © Thierry Girard

18 avril

# 25 • La situation actuelle ne fait qu’empirer des formes de confinement liées à l’exclusion sociale. Il y a trois ans exactement, alors que je marchais dans les rues de Sallaumines, en passant devant une maison, je suis intrigué par les poupées aux fenêtres. Le temps de me demander s’il y avait de quoi faire une photo, la porte s’ouvre libérant une volée de gamins, manifestement en manque d’activités ; puis le père de deux d’entre eux, puis la grand-mère, une forte femme qui m’explique avoir 280 poupées de collection dans la maison, puis le grand-père (furtivement) ; enfin une jeune femme, sœur du premier et mère des deux autres enfants.
Ce sont les vacances de Pâques, il fait beau, la rue est en impasse, on peut y jouer sans danger, il n’y a que la petite voiture sans permis du grand-père qui est garée ; mais voilà tout ce monde est cloîtré devant la télé et au milieu des poupées dans une pièce d’où le soleil a disparu. Le temps de réunir les gamins courant partout comme des sauvages et n’obéissant à aucun ordre si ce n’est des menaces de torgnole, les deux grands-parents sont rentrés chez eux en ronchonnant, et je ne peux photographier que deux générations sur les trois.

Sallaumines, Pas-de-Calais, 18 avril 2017 © Thierry Girard
[ Lien vers le blog : Carnets du Nord #1 ]

19 avril

# 26 • Les mesures de confinement à travers le monde ont pour effet de briser tous les mouvements de protestation qui ont marqué l’année 2019 : quid des Gilets jaunes déjà moribonds, quid du Hirak qui n’avait pas perdu de sa vigueur un an après ses débuts, quid des manifestations au Liban et en Irak ? Certains gouvernements en profitent, comme à Hong Kong, pour serrer un peu plus la vis, sachant qu’il n’y aura pas de manifestants qui descendront dans la rue pour protester. Quinze personnalités démocrates ont ainsi été arrêtées, accusées d’avoir soutenu le mouvement des “protesters » l’année dernière. Le chef de la police de HK s’est défendu, bien entendu, d’avoir reçu quelque ordre que ce soit de Pékin…

Affiches de “protesters“, Causeway Bay, Hong Kong, 8 novembre 2019 © Thierry Girard

20 avril

# 27 • En ces temps de confinement, le printemps peut sembler bien lointain pour beaucoup. Alors, pour panser l’âme de ceux qui en sont privés, quelques images prises à Kyôto, il y a 24 ans jour pour jour.

Heian shrine et Ryoan-Ji gardens, Kyoto, Japon, 20 avril 1997 © Thierry Girard
[ Lien vers le blog : Un printemps à Kyôto ]

21 avril

# 28 • « Après près de deux mois de dégringolade continue, le pétrole américain se trouve dans une situation ubuesque : la valeur du baril cotait, à New York, lundi soir 20 avril, au-dessous de 0 dollar. Autrement dit, les investisseurs cherchant à se débarrasser de leurs barils étaient prêts à payer pour trouver preneurs, tellement le marché est saturé. Pour la première fois de son histoire, le cours du baril connaît un épisode de prix dits « négatifs ». Sur certains contrats spécifiques, il a plongé jusqu’à − 37 dollars (− 34 euros) !» (article du Monde ce jour)

L’industrie est au ralenti, les voitures ne roulent plus (ou peu), ni les trains, ni les avions ; les pétroliers ont leur cuves pleines de pétrole qu’ils ne peuvent débarquer, les réserves sont saturées…

Moriarty (un clin d’œil pour ceux qui savent), Nouveau-Mexique, 14 novembre 1985 © Thierry Girard
[ Lien vers le blog : Presidio, Texas ]

22 avril

# 29 • Image dédiée aux Ulysse égarés dans l’Ailleurs et aux Pénélope confinées en leur palais (et inversement), et qui ne peuvent se retrouver pour le moment. Souvenir d’un voyage mémorable sur les traces d’Ulysse à travers la Méditerranée, il y a exactement 32 ans.

Hôtel Mentor, Port-Vathy, Ithaque, 22 avril 1989 © Thierry Girard
[ Lien vers le blog : Entre Eros et Thanatos ]

23 avril

# 30 • Dans le monde d’après, il va falloir aussi que le monde de l’Art fasse son aggiornamento. Lorsque tu reçois, comme moi ce matin, le mail d’une galerie t’invitant à aller voir en ligne les vidéos de telle artiste et que l’invitation se fait en les termes qui suivent, tu sens un tel décalage entre ce que le monde vit aujourd’hui et ce que certains artistes (ou leur “porte-paroles“) proféraient il y a encore peu, que tu te dis que nous aurons peut-être la nostalgie du monde d’avant, mais pas de tout : « L’Espace comme objet explicite des Arts plastiques intervient d’emblée deux fois dans les travaux de …. D’abord comme réflexion sur la perception de l’Espace et par l’artiste et par les observateurs. Ensuite par la réflexion de l’artiste et les réflexions sur l’Architecture menées par d’autres. Un pareil Concevoir est en premier lieu est un Se-localiser intellectuel : au sein des stratégies artistiques d’autres, un Re-considérer. De là provient son propre travail qui se penche sur l’héritage artistique des Modernes et des Post-modernes, pour finalement déboucher dans des transformations numériques et, par-là, dans le Présent »

Certaines postures, certains “statements“, tout un vocabulaire, certes déchiffrable mais d’une prétention totalement vaine, vont nous devenir encore plus insupportables après.

[ L’image choisie pour illustrer ce post n’est en rien une critique de l’œuvre de Cy Twombly, bien au contraire. Mais il y a dans cet embrouillamini rouge sang… ]

Exposition Cy Twombly, Centre Georges Pompidou, Paris, 13 janvier 2017 © Thierry Girard

24 avril

# 31 • Et Dieu dans tout ça ? A t-il abandonné les siens ? Leur a t-il envoyé quelque châtiment pour les punir de leurs mauvaises actions ? Cherche t-il à éprouver leur Foi ? Je rappelle que certains des premiers “clusters“ en Corée du Sud, en Iran dans la ville sainte de Qom ou en France à Mulhouse, étaient liés à des manifestations religieuses..
Les synagogues étaient vides pour la Pâque juive et les églises pour la Pâque chrétienne. Les mosquées le sont également en ce premier jour du ramadan.

Prière du vendredi, mosquée de Marseille, 20 février 1981 © Thierry Girard

25 avril

# 32 • « Marions-les, marions-les ! » Certes, mais quand reverrons-nous les jours de grandes noces ? Ceux qui veulent convoler en sont réduits à des mariages en catimini. Encore que, c’est peut-être le bon moment pour les radins ou ceux qui détestent leur famille (ou leur belle-famille) de se passer la bague au doigt…

En Chine, les photos de mariage se font parfois plusieurs semaines avant le mariage lui-même ; le temps de réaliser des albums qui seront donnés aux invités le jour de la noce.

Shanghai, Chine, 6 novembre 2010 © Thierry Girard
[ Lien vers le blog : Au bout des lignes, le long des voies.
et vers le site web : Shanghai, The Last Station ]
Au bord du lac de l’Ouest, Hangzhou, Zhejiang, Chine, 31 mars 2001 © Thierry Girard
[ lien vers le site web : Jours ordinaires en Chine ]

Les photographies ci-dessus, prises entre 1981 et 2019, sont issues d’archives argentiques et d’archives numériques, avec différents types d’appareils et différents formats, de la chambre grand format 4×5 (# 32-1) à l’Iphone (#17, #21 et #30).

© Thierry Girard 2020 pour les textes et les photographies


About this entry